Le bout du bout de la Russie. Vladivostok. Ma carte bleue vient d’être avalée par le gourmand distributeur et elle n’en reviendra pas. Personne dans l’aéroport à qui expliquer mes déboires, et aucun mot russe ne me permettrait de toute façon de le faire. Lâcher prise et se serrer les coudes.

Vladivostok, finalement nous y voilà. Nos chaussettes pourtant aérées à l’aéroport de Moscou pour une longue auscultation des passeports en douane et une observation du mobilier de maison en bois tenant lieu de salle d’attente, commençaient à incommoder nos voisins. Trouver l’appartement que nous avons réservé s’avère un véritable jeu de piste. Nous entrons dans une rue, tournons dans une impasse et renouvelons l’opération plusieurs fois sans succès. Nous abandonnons le GPS et décidons de remettre notre sort entre les mains d’un inconnu abordé dans la rue. Il nous invite à le suivre d’un geste ferme, il passe un coup de fil et se débrouille mieux que nous dans le dédale. Nous nous retrouvons dans une sorte de cour aux murs couverts de tags peu engageants. Il faut le suivre dans un immeuble. Il extrait une clé d’une boîte aux lettres défoncée et nous mène au deuxième étage d’un escalier en colimaçon. Nous ne sommes objectivement pas très rassurés. Après une brève explication dans laquelle nous avons compris qu’une autre famille occupe les lieux et que quelqu’un va venir nous voir plus tard, il repart s ans demander son reste. La chambre est propre, le papier peint aux motifs de Tour Eiffel est hors du temps. Nous partagerons cuisine et salle de bain avec le fantôme des habitants que nous ne croiserons jamais. Un carreau de la fenêtre de la cuisine est cassé, nous n’aurons pas froid. Ici, comme à bord du train et dans les logements, les radiateurs entretiennent une température de 35° pour palier aux gelées extérieures. Pas du meilleur effet écologique on en convient. Notre visiteur supposé ne pointant pas le bout de son  nez, nous décidons d’improviser une petite balade. Dans une petite épicerie, la vendeuse est étonnée de découvrir des Français si loin de leurs pénates. Elle donnera le mot à ses collègues et nous ferons sensation à chacun de nos passages ravitaillement.

Nous ne nous attendions pas à voir la mer gelée. Des kilomètres de banquises s’étendent devant nous. Spectacle fascinant. Notre acclimatation n’est pas faite et sentons le froid nous pincer chaque infime morceau de peau apparent. Des hommes nus profitent des rayons du soleil et s’offrent un bain sûrement revigorant en toute décomplexion. Le froid n’est qu’une indication culturelle. Bien occupée à décortiquer cette observation, David m’indique  qu’il a vu l’espace de quelques secondes un homme faire entrer un bébé phoque dans un sac. Effectivement, le sac poubelle balancé par dessus son épaule semble se débattre.

Plus tard, nous sommes surpris en plein sommeil. Nous rencontrons notre hôte, hagards de jet lag et tout à trac de nos découvertes marines. Elle parle uniquement russe et s’inquiète quand on tente de lui expliquer que nous souhaitons rester plus longtemps. Nous avons en effet décidé de réduire le nombre d’escales pour mieux les explorer.

À Vladivostok il nous reste tant à arpenter. La mer gelée est bien sûr notre terrain de jeux préféré : glissades ventre à terre, observations et sourires auprès des pêcheurs de glace qui d’un trou s’occupent des après-midis entières à extraire des pêches miraculeuses. On marche sur la mer! Miracle et lévitation! Vladivostok est la porte insolite de la Russie que nous ne pensions pas trouver si tôt dans notre voyage.